Né au cours d'un hiver rude il y a 35 années de cela, je suis le fils d'une simple cuisinière et d'un roi. Le roi de Deorham, si l'on souhaite être plus précis. Reconnu dès la naissance, du moins sur le papier, comme une garantie face à l'absence d'héritier de sang pur dans le royaume (à ce moment là du moins, aujourd'hui, allez savoir), je n'ai pourtant pas grandi dans des draps de soie, même si ma mère et moi n'avons jamais eu à nous plaindre de la faim, la rente régulière de mon père à ma mère pour garder le silence sur mon existence nous en préservant. Ne me demandez pas la logique de ma condition, contrairement à d'autres bâtards du royaume, j'ai peu fréquenté le château de mon père, alors en connaitre les usages...

J'avais quatorze ans quand la forge est entrée dans ma vie. J'avais largement l'âge de travailler, et le forgeron d'un village proche de celui où j'ai grandi cherchait un apprenti. Pas que la paye soit élevée, mais tout homme se doit d'avoir un travail honnête, et quelques taloches en passant m'ont appris à être un élève aussi discipliné que perfectionniste. Et si j'ai d'abord eu le droit de forger des dizaines et des dizaines de fers à chevaux (autant dire que je devais savoir les faire les yeux fermés à force), un jour, c'est ma propre lame que j'ai eu le plaisir de forger. Sur l'insistance de mon maitre. Selon lui, se balader sans arme, par les temps qui couraient, était du suicide. Mais si je voulais une lame, je devais la mériter. Autrement dit, la forger moi-même. Et si je pensais avoir la technique à force de fabriquer des fers, j'ai rapidement appris que pour forger une bonne lame, c'est un peu plus compliqué. La chauffe et la trempe n'étant que deux étapes parmi d'autres. Un fer à cheval se doit d'être solide. Une bonne lame doit être solide, tranchante, avoir une bonne prise en main et être en même temps d'un matériau assez élastique pour absorber les chocs. Tout un art. Et il m'a fallu m'y reprendre à plusieurs reprises pour que mon maitre soit satisfait de mon travail.
 
Ca fait quinze ans que je détiens ma propre forge. Fait assez rare pour être noté, mais faut croire que, de temps en temps, mes origines "modestes" sont un coup de pouce utile. Pour tout dire, si je n'ai pas fait l'affront à mon père de quitter ses terres, je me suis installé aussi loin du palais que faire se peut. Près de la frontière avec Camelot. Et je pense ne pas être mauvais dans mon domaine.
Un objectif de carrière? Je sais pas, pourquoi pas voir l'une de mes épées à la hanche d'un chevalier par exemple... En attendant, je me contente de fournir des pièges à loup pour les traqueurs du coin.

En dehors de mon travail, j'ai une vie, bien sur. Un brin compliqué si on considère qu'elle a deux faces.

Face, j'ai eu l'insigne honneur (et sentez tout le sarcasme contenu dans ma voix) de débarrasser un autre seigneur de sa batarde de fille en la prenant pour épouse. Rien demandé, mais parait il que ça s'appelle l'échiquier politique. Soyons honnêtes, si je me dévoue au devoir conjugal quand c'est nécessaire, on ne peux pas dire qu'on se croise assez dans une journée pour se marcher dessus. En passant, on a eu trois enfants, et on en a perdu deux. Excusez-moi de ne pas essayer de m'attacher à mon fils dans l'immédiat, même si, à sept ans, le plus gros des risques est passé.

Pile, j'ai croisé cet homme à la taverne peu de temps après mon arrivée dans ce village. Le fils du tanneur, aujourd'hui tanneur lui-même. Je n'étais jamais allé avec un homme et on m'a plutôt enseigné que c'était une mauvaise chose, mais cet homme m'a tapé dans l'œil. Si ça a été immédiatement réciproque? Il ne l'a jamais confirmé en tout cas. Ce que je sais, c'est que ça fait quinze ans que je passe mes nuits dans son lit plutôt que dans celui de mon épouse. Donnant le change d'une franche amitié en plein jour, nous laissant aller à l'amour qui nous lie sitôt la nuit tombée.

Si on donne si bien le change? Ma femme m'a grillé dès la première année, mais notre mode de fonctionnement fait qu'elle s'en fiche autant que je me fiche de ce qu'elle fait. Bien que l'idée qu'une telle réputation risque de déborder sur notre fils arriverait tout de même à la faire friser. Pour le reste, y a bien ce garde qui prend un malin plaisir à me faire passer une nuit ou deux au cachot de temps en temps, mais je crois qu'il a juste le béguin pour ma personne.

Récemment, j'ai eu le déplaisir de voir son altesse lui-même se rapprocher de ma forge. Venant chercher la contrepartie des "avantages" qu'il m'aurait donné depuis l'enfance. Sa demande? Equiper chaque homme de son armée en vue d'une attaque sur Camelot. Ma réponse? M'a valu une tempe ouverte et une lèvre éclatée quand j'ai croisé le mur de ma forge à plus grande vitesse que je l'aurai voulu. Je n'ai rien contre le roi Arthur, et je refuse de soutenir une telle action à l'encontre du royaume. Cependant, il n'est pas impossible qu'un roi trouve le moyen de faire plier un simple forgeron sous sa volonté.

En résumé? Je suis un bâtard, forgeron dans le royaume de Deorham, ma vie sentimentale est loin d'être ce qu'elle semble être, et l'avenir me parait plus incertain que jamais.